la relance par le troc en Angleterre
Lorsque Jean-François Kahn avait voulu créer l'Evènement du Jeudi, j'avais naturellement aidé à sa création en prenant à l'époque une participation de 1000 F il me semble. C'était effectivement naturel, car ce nouveau journal se voulait alternatif, dénonçait et voulait combattre justement « la pensée unique ».
Aussi, j'y étais abonné depuis le début et je lisais régulièrement les articles d'analyse économique et politique.
En février 1995, je fut intrigué par un article intitulé « la relance par le troc en Angleterre».
C'était un article sur les LETS qui étaient en train de se multiplier et de prospérer en Angleterre. LETS signifie Local Exchange and Trading System, qu'on a ensuite traduit en français par SEL, Système d'Echange Local.
Ainsi, j'ai appris que les LETS étaient des associations permettant à leurs adhérents d'échanger entre eux en émettant des "bons d'échange", qui se présentaient comme des billets de banque. Il n'y avait pas de transactions financières entre les adhérents lors des échanges, aussi les échanges étaient apparentés à du troc. Simplement, l'article expliquait que ce n'était pas du troc classique, mais du troc "multilatéral".
En effet le troc classique a lieu entre 2 personnes. Pour que le troc puisse se produire, 2 conditions doivent être remplies simultanément. Chacune des 2 personnes doit posséder quelquechose qui intéresse l'autre, et en outre les valeurs des produits à échanger doivent être égales. Ceci rend le troc très restrictif, et par conséquent, les échanges malaisés.
Au contraire, dans le troc multilatéral, Pierre peut échanger avec Paul un produit ou service dont il a besoin contre des bons d'échange pour une valeur qu'ils auront déterminés entre eux. Paul peut ensuite utiliser tout ou partie de ses bons d'échange, pour échanger avec Jacques un autre produit, et ainsi de suite. Le troc multilatéral se présente ainsi comme un authentique système monétaire, et les bons d'échange agissent comme une véritable monnaie. A ceci près que celle-ci n'est utilisable qu'entre les adhérents du LETS. De plus la monnaie "bons d'échange" ne produit pas d'intérêt, car cette monnaie-là n'a, par construction, qu'une valeur d'échange.
En tout cas, ces LETS en Angleterre permettaient à des gens qui n'avaient pas ou peu d'argent, de faire néanmoins des échanges économiques entre eux, et à ce titre contribuaient à relancer l'économie locale. D'où le titre de l'article.
Le premier LETS avait été créé par un canadien, Michael Linton, à Vancouver, en 1983. Ils s'étaient multipliés au Canada, avant de s'exporter dans le monde anglo-saxon, en Australie, en Nouvelle Zélande, puis en Angleterre à partir de 1991, puis en Europe.
Le reportage publié dans l'article de 1995 parlait plus spécialement du LETS de Manchester qui comprennait alors environ 300 adhérents, et fonctionnait fort.
J'ai bien sûr reconnu dans le fonctionnement des LETS anglais celui de l'AMARE que j'avais conçu. La différence résidait, non pas dans les principes de fonctionnement, mais plutôt dans les objectifs.
En effet, l'objectif de l'AMARE était clairement de créer une sorte de banque centrale alternative qui devait permettre à terme de trouver une solution globale aux crises économiques et au chômage. La philosophie des LETS était beaucoup plus locale. Il s'agissait de créer un système d'entraide local entre des personnes géographiquement proches, et aussi de promouvoir l'économie locale par rapport à l'économie mondialisée. Ceci dit, les 2 philosophies étaient quand-même assez proches, car il s'agissait de de mettre en place, pour simplifier, de la monnaie que l'on pouvait qualifier de non-spéculative, ce qui, dans les 2 approches, devaient favoriser la justice sociale, et éviter les crises économiques.
En définitve, la lecture de cet article m'avait redynamisé : comme je n'avais pas réussi à vendre mon projet à des responsables territoriaux, il ne me restait plus qu'à essayer de le mettre en oeuvre directement, à la manière des LETS anglais.