un micro-état, posé là sur la table

Publié le par armand tardella

La journée du 24 mars avait été effectivement un beau succès pour le SELSQY.

 

Non, rassurez-vous. Je n'ai pas les souvenirs aussi précis. Je vous ai déjà dit que j'ai retrouvé toutes mes archives du SELSQY. J'y ai ainsi (re)-découvert que nous avions eu une trentaine d'adhésions le 24 mars 1996 exactement. Il suffit alors de trouver sur internet un calendrier de 1996 et de vérifier que ce jour-là faisait partie d'un weekend. D'ailleurs c'est un dimanche. Il est donc clair que c'était le jour de notre première bourse d'échange. Elémentaire mon cher Watson !!

 

Au-delà des adhésions, il était beau de voir, en tant que membre fondateur du SELSQY, des gens qui ne se connaissaient pas quelques semaines auparavant, s'installer, échanger, discuter une journée entière, et en définitive créer des liens. Je contemplais avec émerveillement des liens d'amitié se nouer sous mes yeux.

 

Il y avait aussi parmi les adhérents participant à cette journée des personnes dont je savais par ailleurs qu'elles avaient des soucis financiers, pour cause de divorce, chômage ou autre accident de la vie. Et j'ai pu voir furtivement dans leurs yeux le bonheur de pouvoir s'offrir ce qu'elles désiraient, ou simplement ce dont elles avaient besoin. C'était très émouvant. Bien sûr, elles auraient pu trouver ces choses simples dans une brocante, ou au secours catholique. Mais dans une brocante, il faut payer avec du vrai argent ! Et aller dans une association caritative, c'est afficher qu'on est en difficulté. Or nous avons tous notre dignité. Nous n'aimons pas étaler nos difficultés sur la place publique. Alors qu'à cette bourse d'échange, personne ne savais a priori si l'on était en difficulté ou non. Et on pouvait créer l'argent dont on avait besoin au moment de l'échange.

 

Il était là aussi le succès de cette première bourse d'échange.

 

Mais il ne fallait pas se leurrer. Malgré les 30 adhésions de la journée, il devenait clair qu'on n'atteindrait jamais 100000 adhérents. A 30 adhérents la journée, il faut beaucoup de bourses d'échange pour atteindre 100000 adhérents !! Même avec une bourse d'échange par mois, ce qui représente déjà beaucoup de travail et de constance, et en supposant que le mouvement ne s'essouffle pas lorsqu'il n'y aurait plus l'attrait de la nouveauté, on est parti pour ... 300 ans !!!

 

Non, il fallait se rendre à l'évidence, après six mois de fonctionnement, je me rendais compte que François Terris avait finalement raison. Le SELSQY n'atteindrait jamais l'objectif que j'avais en le créant. Ce ne serait jamais la banque centrale alternative que j'avais imaginée permettant, sur un plan macro-économique, de réaliser des relances keynésiennes et de piloter l'économie de marché. L'intérêt du SEL était autre part. C'était le lien social, l'entraide locale, la solidarité, comme me l'avais dit François.

 

Cependant, une autre évidence m'apparaissait dans le même temps : le SELSQY était en fait  un micro-Etat.

 

En effet, d'une manière ou d'une autre, on y retrouvait les fonctions traditionnelles de l'Etat : législatif, police, justice, émission monétaire.

 

Nous étions clairement obligés, en fait le conseil d'administration de l'association, de légiférer, ne serait-ce que pour définir la manière dont le SELSQY devait normalement fonctionner. Par exemple, il fallait bien déterminer ce qu'on avait le droit d'échanger ou non. De la drogue ? des armes ? de la lévitation transcendentale ? etc. Et aussi décider ce qu'il fallait faire si un adhérent avait un compte trop négatif, ou trop positif. Et ce que voulait dire "trop". Et puis, est-ce qu'on avait le droit de profiter des contacts qu'on pouvait se faire dans le SEL pour faire du prosélytisme religieux, politique, etc.

 

Nous étions obligés aussi, bien que cela ne nous plaise pas vraiment, de faire un peu de police et de justice. Je me rappelle, par exemple qu'un adhérent était venu se plaindre d'un autre adhérent qui lui avait loué, en monnaie locale bien sûr, un mobile home sur un lieu de vacances dans le sud de la France. Celui-ci était en mauvais état et il avait plu. La pluie tombait à l'intérieur et les vacances avaient été horribles.  Il voulait être remboursé !!! Il a bien fallu que quelqu'un résolve le problème ! Au hasard ... moi, parce que j'étais le Président, donc c'était à moi d'y aller. Merci les copains !!! Moi je voulais simplement créer une banque, les gars !!! Bon, alors, enquête, audition du plaignant, audition du propriétaire du mobile home. Consultation de la jurisprudence ... y en a pas ...  J'ai fini par proposer que le SEL prenne en charge le remboursement de la victime, et pour le reste j'ai fait un peu de morale au propriétaire du mobile home pour qu'il le retire de ses offres de location, à moins qu'il ne le répare. A la réflexion, on peut dire que le SEL a déjà agi comme une assurance sur ce problème-là !!

 

Il y avait eu aussi, le jour de la bourse d'échange d'ailleurs, le cas de Michel Tavernier qui était venu avec des prospectus de son association pour le développement de l'écosophie. Il en a distribué à tout le monde. Cela avait été vécu comme du prosélytisme. Plusieurs adhérents en ont été troublés et m'ont demandé d'intervenir!

 

Quant à l'émission monétaire, les Etats se sont désaisis de ce droit traditionnel en créant la Banque Centrale Europeenne. C'est maintenant la BCE qui crée la monnaie de manière indépendante des Etats. Ce qui me paraît idiot. Et le SEL a été spécialement créé pour reconquérir ce droit.

 

Aussi, bien que l'objectif du SELSQY s'éloignait dans la pratique de plus en plus de celui que j'avais au départ, je trouvais l'expérience passionnante et socialement utile. De plus je prenais conscience que c'était un terrain d'expérimentation économique et social exceptionnel où l'on pouvait réinventer le monde concrètement, tous les jours. C'était comme un jeu vidéo ... en vrai. On pouvait discuter en conseil d'administration de nouvelles règles, comme on discute, j'imagine, en conseil des ministres de nouvelles lois, les mettre en pratique concrètement, et constater les évolutions. Le SELSQY était un micro-Etat, posé-là sur la table, dont on pouvait observer et comprendre tous les rouages, et que l'on pouvait faire vivre selon nos choix !!

 

C'est en faisant vivre naturellement ce micro-Etat que j'ai découvert, de manière non-préméditée, comment il était possible de piloter le marché, grâce à une banque centrale alternative.

 

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C
<br /> Avec toutes ces expériences, tu n'as finalement pas fait que de l'économie. Tu as été bien au-delà et tu as fait de la psychologie expérimentale et de la sociologie. C'est dire que toutes ces<br /> matières sont liées et qu'on ne peut jamais aborder l'une sans les autres...<br /> <br /> Ton article est très bien écrit, comme François j'attends la suite !<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Bravo Armand pour ce dernier article, en quelques lignes tu racontes toute l'histoire des SEL, y compris les problèmes .<br /> J'attends la suite,<br /> François<br /> <br /> <br />
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