l'apprentissage de la création monétaire

Publié le par armand tardella

Michel Tavernier m'avait intrigué. La théorie de Silvio Gesell me paraissait séduisante. Mais elle était aussi trop belle pour être vraie, je n'avais pas assez de recul pour pouvoir véritablement en juger. Et puis c'était trop à la fois. L'idée du SEL était déjà très originale, avec son argent sans intérêt. La monnaie "fondante", c'était encore un cran supplémentaire. De plus, en supposant même que je sois convaincu, je ne voyais pas comment je pouvais faire accepter ce système-là aux adhérents du SEL. Car mon objectif était toujours de créer une banque centrale alternative. Il fallait bien qu'elle soit acceptable par les gens.

 

J'ai donc laissé cette idée dans un coin de ma tête, et je me suis focalisé sur de développement "normal" du SELSQY. C'était déjà du travail !

 

Il fallait toujours expliquer aux adhérents qu'ils pouvaient "consommer" même s'ils n'avaient pas d'argent, c'est-à-dire si leurs comptes n'étaient pas créditeur. Or, comme je l'ai déjà expliqué, à cause de l'adhésion au SELSQY en monnaie locale, ils partaient tous en négatif. On avait beau leur expliquer qu'on leur faisait confiance, qu'il reviendraient en positif ensuite, que s'ils étaient débiteurs, ce n'était pas grave parce qu'il n'y avait pas d'agios à payer, ce n'était pas suffisant. La culture bancaire était trop prégnante. Malgré toutes les craintes qui s'étaient exprimées lors des premières discussions au moment de la création du SEL, personne ne "profitait" du système. Tout le monde attendait d'être contacté par un autre adhérent de manière à pouvoir rendre des services, ainsi avoir un compte créditeur, puis ensuite pouvoir à leur tour demander des services. Mais si tout le monde attend ... eh bien ... tout le monde attend !!! Aussi, je me suis mis à espérer que quelques escrocs adhèrent au SELSQY, qu'ils "profitent" du système, qu'il demandent des services même sans l'intention d'en rendre, de telle manière à qu'ils amorçent la pompe en permettant à d'autres adhérents de se mettre en positif. Mais ce n'est pas arrivé.

 

Il a donc fallu prendre des mesures ! Au cours d'une réunion du conseil d'adminisation, nous avons décidé de donner l'exemple. Les membres du conseil se devaient de demander des services pour se mettre en négatif, ce qui aurait pour conséquence mécanique de mettre d'autres adhérents en positif, et ainsi de ... créer de la monnaie !!!

 

En tant que président je devais aussi donner l'exemple. Il fallait que je demande un service. De quoi pouvais-je avoir besoin ? De rien a priori. Mais je devais donner l'exemple !!! Il fallait que j'ai besoin de quelque chose !!

 

J'ai donc consulté le catalogue du SEL."Aide aux personnes âgées" : non c'est pas (encore) pour moi, "massages de relaxation" : bof c'est pas mon truc, "bricolage" : ça je sais faire, "garde d'animaux" : je n'ai pas d'animaux ..., "conversation en anglais" : tiens pourquoi pas, pour améliorer mon anglais; "cuisine antillaise" : à ça par contre c'est pas mal du tout !!!

 

J'ai fini par trouver des tas de choses dont je pouvais avoir besoin. J'ai donc commencé à donner l'exemple. Je me rappelle avoir commandé un repas antillais pour mon anniversaire. Super repas !! Acras, Colombo de poulet et gâteau aux annanas !!! Fabuleux !! Rien à faire pour le repas, payé en monnaie locale ! Certains diraient monnaie de singe !

 

Les autres membres du conseil d'adminstration ont fait de même, et nous avons ainsi amorcé la pompe. Nous avons lancé le SEL. Ce n'était pas encore une RE-lance, mais il s'agissait du même mécanisme, puisque nous avons créé de la monnaie en consommant. Cela a donc marché ... un temps.

 

Evidemment, car pour "pomper", il fallait que les comptes des membres du conseil d'administration deviennent de plus en plus négatifs, et en particulier le mien. Or nous ne pouvions pas descendre trop bas non plus, sous peine de nous voir accuser de profiter nous-même du système. Car comme nous le répétions aux adhérents, un système monétaire est un système de confiance. Si l'on perd confiance dans le système, il s'arrête de fonctionner. Nous devions donc donner l'exemple, mais pas trop.

 

 

Cependant, le SELSQY était lancé et se développait. Lentement, mais sûrement.

 

En tout cas, une chose devenait évidente pour moi : les SEL étaient de fabuleux terrains d'expérimentation, où il fallait réagir en temps réel aux besoins et aux comportements des gens. Ils permettaient de comprendre concrètement les mécanismes monétaires, en même temps qu'ils répondaient à un réel besoin humain de lien social.

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C
<br /> C'est très étonnant et intéressant sur un plan sociologique d'avoir constaté que des gens qui avaient adhéré au SEL (donc qui semblaient vouloir d'un système alternatif) aient finalement raisonné<br /> comme dans le système bancaire normal et aient eu des réticences à consommer sans avoir encore de comptes positifs. Cela montre à quel point il est difficile de changer le système économique car<br /> cela nécessite de faire changer les mentalités avant. La meilleure idée du monde n'aura peut-être jamais d'application concrète si le système de pensées n'est pas modifié et intégré par les gens...<br /> <br /> <br />
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