la théorie de Silvio Gesell

Publié le par armand tardella

Michel Tavernier ne faisait pas partie de mon cercle d'amis, ni du  cercle d'amis de mes amis. Je ne sais pas comment il a pu nous contacter. Peut-être par l'intermédiaire de François Terris, l'un des fondateurs du premier SEL français en Ariège que j'avais contacté quelques semaines plus tôt.

 

Il avait déjà 75 ans à l'époque. Ancien militaire, il était devenu,  à la retraite, militant pour une économie alternative et solidaire, écologique, avec une pointe de spiritualité. Il avait créé, ou au moins faisait partie des responsables de l'AISE, Association Internationale pour le Soutien de l'Ecosophie. L'Ecosophie était une philosophie de vie mêlant économie solidaire et écologie. Cette mouvance avait, il me semble été accusée de sectarisme. D'ailleurs il était marié avec une des responsables de l'ADFI, une association de défense contre les sectes. Sa femme semble-t-il l'aurait tiré d'un faux pas par lequel il était en train de se faire happer par une secte. Michel Tavernier était un homme en recherche, ce qui le rendait par certains côtés vulnérable.

 

Dans son action pour un monde meilleur, Michel Tavernier avait beaucoup étudié les différentes théories économiques, et il était devenu un ardant promotteur de la théorie de la "monnaie accélérée" de Silvio Gesell. Depuis que les SEL étaient apparus en France, il cherchait à expérimenter concrètement la théorie de Gesell dans un SEL.

 

Jusque là tous les SEL français étaient dans le sud de la France. Michel Tavernier, lui, habitait Le Vésinet, à un quart d'heure de voiture de Saint Quentin en Yvelines. Aussi dès qu'il a su que nous avions créé un SEL près de chez lui, il a pris contact avec nous. Il a tout de suite adhéré au SELSQY. Il m'a raconté sa vie de militant, et d'emblée, ses petits soucis avec les sectes, puis m'a rapidement parlé de Silvio Gesell et de sa théorie. Pour lui, il fallait absolument adopter la monnaie de Gesell dans le SELSQY.

 

La monnaie de Gesell est une monnaie spéciale qui, au contraire de la monnaie courante, coûte plutôt de de rapporter. En effet, la monnaie courante peut rapporter des intérêts. Lorsqu'on a de l'argent et qu'on le prête, on se fait payer des intérêts. Ces intérêts sont censés être le prix du sacrifice qu'on consens en ne dépensant pas tout de suite l'argent qu'on possède et en le mettant à disposition de quelqu'un d'autre. La monnaie de Gesell, en revanche, coûte : lorsqu'on en possède, il faut tous les mois payer un intérêt à l'émetteur de cette monnaie, c'est-à-dire l'Etat dans l'esprit de Gesell, pour pouvoir continuer à l'utiliser. C'est donc une monnaie à intérêt négatif. Ceci lui a valu le qualificatif de monnaie "fondante", bien que sa valeur ne diminue pas.

 

En fait Silvio Gesell était un homme d'affaire allemand, né en 1862, mort en 1930 qui avait fait fortune en Argentine. Dans sa vie d'homme d'affaire, il avait utilisé les règles du système, mais son expérience l'avait convaincu que celles-ci généraient de la pauvreté pour le plus grand nombre. De retour en Allemagne au tout début du 20ième siècle, il est devenu économiste, et a écrit en 1911 son livre " l'ordre économique naturel" où il analyse les méfaits du système monétaire de l'époque, et où il en propose un nouveau. En fait Silvio Gesell était libéral. Il acceptait qu'on puisse gagner de l'argent, voire beaucoup d'argent, par son travail. Dans son esprit, il était légitime qu'un entrepreneur puisse s'enrichir si ses produits rendent de bons services, et que par conséquent, il en vend beaucoup en utilisant la loi du marché. Par contre, il ne supportait pas qu'on puisse s'enrichir simplement en possédant de l'argent et en le faisant fructifier. Il avait la haine des rentiers !

 

L'idée maitresse de Silvio Gesell se résume de la manière suivante. La possession de produits matériels, comme des carottes ou des voitures, coûte nécessairement à leur propriétaire. Les carottes s'abîment si on les garde trop longtemps, les voitures rouillent, où générent des frais de stockage. Par contre, la possession de monnaie ne coûte rien. Un billet de 10 euros, même froissé, même jauni, garde la valeur de 10 euros même au bout de 10 ans. Ceci créé un déséquilibre entre le vendeur et l'acheteur dans un échange. Car le vendeur possède un bien matériel qui lui coûte au cours du temps, alors que l'acheteur possède de l'argent qui ne lui coûte rien. Le vendeur est donc pressé de vendre, alors que l'acheteur peut attendre que le vendeur baisse son prix. L'échange est donc toujours déséquilibré en faveur de l'acheteur. Silvio Gesell interpréte cela en disant que le rentier qui a de l'argent, est donc toujours en position de force par rapport au producteur, et il lui fait payer une rançon, ce qui est injuste et ce qui finit, pour faire très court,  par créer des inégalités, du chômage, de la pauvreté et des crises économiques.

 

Aussi, pour rétablir l'équilibre, l'acheteur doit être aussi pressé d'acheter que le vendeur de vendre. Il faut donc que la possession d'argent coûte en moyenne autant que la possession de biens matériels. Silvio Gesell estime alors le coût moyen de possession des biens matériels coûte 6% par an, soit 0,5%  par mois. Aussi il affirme que la possession de monnaie devrait coûter 0,5% par mois à leur possesseurs. Ainsi ceux qui possède de l'argent serait incités à le remettre dans le  circuit, l'économie serait plus fluide, et l'on ne pourrait gagner de l'argent que grâce à son travail.

 

Michel Tavernier m'apprit que cette monnaie avait été expérimentée par le maire de Wörgl en Autriche en 1932, en pleine crise économique, et qu'elle avait permis de réduire le chômage de 60% dans cette petite ville, avant de se voir interdite par l'Etat autrichien, au terme de 14 mois de procédure, pour le motif de violation du monopole bancaire de battre monnaie.

 

Aussi, Michel Tavernier était-il enthousiasmé par l'éventualité expérimenter cette monnaie dans le SELSQY, tant il était convaincu que c'était une solution aux problèmes économiques actuels, et en particulier le problème du chômage.

 

 

 

 

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